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Entreprise 2.0 et Cerveau, quels parallèles ?

September 7, 2010

Les métaphores enrichissent la compréhension et font naître des idées qui ne sont pas seulement abstraites ou théoriques, mais peuvent aussi être incroyablement pratiques. Dans son livre « Images of Organization »[i], Gareth Morgan propose celle du cerveau, parmi beaucoup d’autres.  De mon point de vue  l’analogie entreprise-cerveau n’était pas frappante, jusqu’à récemment, lorsque l’un de mes formateurs en neuropsychologie s’est mis à dessiner des neurones interconnectés au tableau. Selon l’aire cérébrale à laquelle on se réfère, on trouve soit des ‘autoroutes’  de neurones, c.à.d. des connexions structurées et persistantes, soit un réseau totalement maillé où les connexions peuvent être établies à la demande, dans une infinité d’arrangements.

Le schéma du cortex préfrontal est frappant : une similitude saute aux yeux, celle du diagramme que l’on pourrait faire d’une forme plus avancée d’organisation, qu’on l’appelle Entreprise 2.0 ou organisation en réseau.

Nos entreprises sont-elles aussi évoluées que nos cerveaux ?

D’après la théorie du cerveau triunique revisitée[ii], le tout premier ‘étage’ à se développer a été le cerveau reptilien : dédié à la survie, c’est lui qui gère l’action primaire dans le calme, et la fuite, le combat ou l’inhibition en cas de danger de mort. Le deuxième étage fut le cerveau paléo-limbique, lorsque les mammifères se sont réunis en troupeau : il gère les relations dans le groupe. Le troisième fut le néo-limbique, siège de notre caractère et de notre tempérament, ou se forment nos valeurs pour faire plus tard référence – ce territoire est présent chez un nombre limité de mammifères. Vient enfin le préfrontal, dernier stade de l’évolution qui n’existe que chez les humains et les grands singes : il nous aide à faire face aux situations nouvelles et/ou complexes. Il gère aussi la créativité pure, lorsque nous devons penser différemment, en dehors des sentiers battus – on pense à l’apprentissage en double boucle de Chris Argyris. C’est pour cela qu’il connecte les neurones à la demande et de manière différente en fonction de chaque situation ; c’est aussi pour cela qu’il garde ‘actives’ ou potentielles beaucoup plus de connexions que les autres territoires.

Il y a une demi blague qui circule parmi ceux qui pratiquent la neuropsychologie : la politique serait au stade paléo-limbique, l’éducation au stade néo-limbique, et l’entreprise serait en phase d’apprentissage préfrontale. Une vision d’espoir pour cette dernière.

Tirons-nous le meilleur de notre cerveau ? Oublions la légende qui dit que nous n’en utilisons que 10% – elle date du temps ou on ne savait pas à quoi servait les 90 autres pourcent : on a trouvé depuis, les 100% sont utiles. Ceci dit, tous les territoires ne sont pas aux commandes. Là où le néo-limbique gouverne les automatismes et s’appuie sur une banque de situations de référence (qu’il suppose connaître ou reconnaître) auxquelles sont associées des comportements prédéterminés, le préfrontal bénéficie d’une mémoire plus ‘totale’ et parcellaire qu’il utilise comme une base de recherche, d’évaluation et de comparaison pour déterminer le comportement ad hoc. Malgré tout, la plupart du temps c’est le néo-limbique qui est au front tandis que le préfrontal reste en arrière, parfois même lorsqu’il devrait prendre l’initiative. Comme si ce dernier n’avait pas complètement fini son développement ni trouvé sa place.

Quel parallèle avec l’entreprise moderne ? Le néo-limbique ressemble à la culture d’entreprise et à ses processus, qu’ils soient implicites ou explicites. Le préfrontal ressemble au potentiel collaboratif et collectif – une mine de talents et de connaissances à exploiter et à maximiser par les possibilités des connexions entre personnes. Le premier système pilote nos organisations, le second peut nous mettre sur la piste de l’innovation et de la résolution de problèmes persistants – mais nous ne sommes pas encore certains de la façon de l’utiliser, ni d’où cela va nous conduire.

Décision et action Cerveau Entreprise
Qui conduit, habituellement ? Territoires limbiques: Relations dans le groupe, caractère, tempérament, valeurs, automatismes. Culture d’entreprise ou organisationnelle, processus, hiérarchie, chartes, normes et règles, etc..
Qui peut aider à l’adaptation, au progrès, au changement ? Préfrontal: dédié aux situations nouvelles et/ou complexes, avec un réseau de neurones totalement maillé à sa disposition ainsi qu’une mémoire polyvalente, qui travaille de manière personnalisée – pas d’automatismes ici (en cas de lobotomie de ce territoire, l’être humain perd créativité, innovation et adaptabilité) ?Est-ce que cela pourrait être la puissance des personnes en réseau, la collaboration et l’intelligence collective ?

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S’adapter – grâce au pouvoir des connexions? – ou mourir

On voit très facilement les avantages qu’il y a à mettre le préfrontal au travail : s’adapter à toute situation, sans idées préconçues, pouvoir utiliser la totalité de notre intelligence en toute circonstance. Ceux qui peuvent le faire à volonté se comptent sur les doigts de quelques mains – cf. ma remarque précédente, nos cerveaux n’ont pas encore atteint ce niveau de développement. Cependant on peut s’entrainer et améliorer son propre accès au préfrontal, c’est l’un des domaines d’application de la neuropsychologie.

L’un des paradoxes de l’utilisation du préfrontal est que l’on doit ‘lâcher prise’ en matière d’obligation d’efficacité et d’efficience pour pouvoir justement devenir plus efficace et efficient. On le voit lorsque l’on se rend compte que les personnes sereines et qui prennent le temps de cogiter sont aussi celles qui sont plus à même de s’atteler aux situations  tendues. Facile à écrire, moins à digérer et à mettre en action !

Si l’on revient à notre comparaison, on peu conjecturer que l’entreprise doit se préparer à accueillir différentes formes d’initiatives collaboratives et en tirer le meilleur parti. Et ce, sans planifier ce que le résultat devrait être, ni comment on devrait y arriver. Enfin et surtout, c’est sur de vrais problèmes, sur les priorités que doit être utilisé ce potentiel.

Dans les deux cas, cerveau ou entreprise, cela ne veut pas dire que l’autre système (le néo-limbique / la culture d’entreprise et ses processus) ne sert plus à rien; cela veut seulement dire que les deux systèmes doivent apprendre à travailler ensemble et à se faire confiance.

Comment avancer dans cette direction, pour l’entreprise ? L’un des ingrédients clé est probablement une culture du changement. Parce que quelque soit la difficulté à laquelle on s’attelle aujourd’hui, une nouvelle difficulté plus complexe se profile à l’horizon. La puissance de l’Entreprise 2.0 doit être exploitée mais non maîtrisée : de nouvelles formes de collaboration, de nouvelles formes d’intelligence collective doivent pouvoir voir le jour et être alimentées avec de nouveaux défis.

L’entreprise ne vieilli pas, mais elle peut mourir. Elle peut devenir rigide, faire des erreurs et ne plus s’adapter, s’effondrer – la plupart des entreprises disparaissent avant d’avoir atteint la quarantaine[iii]. Et de nos jours, alors que tout s’accélère, c’est drôlement urgent de cultiver l’adaptabilité même si cela veut dire que l’incertitude devient une ressource.

Ce post a été publié pour la première fois sur le blog de l’Institut Boostzone, en anglais.


[i] Voir : http://www.uk.sagepub.com/booksProdDesc.nav?contribId=515429&prodId=Book229704

[ii] Voir les travaux et publications de Jacques Fradin et l’Institut de Neurocognitivisme, par exemple.

[iii] Selon une étude de Royal Dutch/Shell de 1983, rapportée par Peter Senge dans son livre the Fifth Discipline

6 Comments leave one →
  1. Laetitia Garabello permalink
    September 7, 2010 11:32 am

    Merci pour ce billet très intéressant, accessible, et qui renouvelle bien la réflexion sur le sujet Entreprise 2.0. Très belle phrase de fin “cultiver l’adaptabilité même si cela veut dire que l’incertitude devient une ressource”; oui il y a là effectivement un très gros défi culturel…

  2. October 14, 2010 10:13 am

    L’analogie entre entreprise (2.0 ou non) et cerveau date de plus de 50 ans avec les travaux en cybernétique (notamment ceux de Simon). Un de ses corollaires est que les entreprises s’auto-organisent selon plusieurs niveaux (à l’instar des neurones et des relations entre les différentes parties du cerveau, cf. article de Mme Demailly) pour faire émerger des processus, projets, produits… et une nouvelle organisation !

    De la même manière que nous apprenons et améliorons, l’entreprise fait de même. C’est pour cette raison que le concept d’organisation apprenante (encore très imparfait aujourd’hui) a – justement – encore beaucoup à nous apprendre…

  3. MAS permalink
    November 18, 2010 6:00 pm

    J’ai lu que l’acquisition de connaissances créait des connexions dans le cerveau.
    J’ai une remarque et une question sur ce sujet.

    Une question biologique : Connaissez-vous les principes physiologiques qui font que des connexions se créent ? Est-ce l’activité du neurone qui consomme plus d’énergie que nécessaire et dans ce cas, l’énergie en surplus est-elle utilisée pour fabriquer des dendrites (hypothèse perso, sans doute farfelue)?

    une remarque concernant le parallélisme : si la création de connaissance dans le cerveau crée des connexions, alors c’est l’inverse dans les réseaux sociaux où ce sont les connexions et interactions qui créent de la connaissance.

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